Sophia BENSALOUDJI – Juriste en droit social
Dans le cadre d’un conflit au Conseil de Prud’hommes, et en cas de condamnation, il peut vous arriver de vous demander : dois-je payer tout de suite ? Puis-je faire attendre le paiement le temps d’exercer les voies de recours ?
Dans ce jeu d’équilibre entre l’attente et l’action, les acteurs juridiques jonglent avec les textes en vue de déterminer quelles décisions s’appliquent immédiatement et quelles décisions sont mises sur pause le temps d’un recours.
Dans cet article, vous explorerez avec nous le monde de l’exécution des condamnations prud’hommales, où l’immédiateté vacille au gré des textes.
I/ Le principe de l’exécution provisoire
L’exécution provisoire est un principe permettant à la partie gagnante d’un procès l’application immédiate de la condamnation à l’encontre de la partie perdante, sans attendre l’expiration des voies de recours.
Il garantit au bénéficiaire d’une décision l’application rapide de celle-ci, et permet d’éviter que la partie adverse forme appel à des fins dilatoires (gain de temps, organisation de l’insolvabilité par exemple). Ce principe présente toutefois l’inconvénient de l’insécurité juridique : si la condamnation venait à être réformée, il faudra alors rembourser à l’adversaire perdant les sommes acquises.
Ce principe – s’il a suscité de nombreux débats – a tout de même été érigé en principe par le décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019, consacrant l’exécution provisoire comme étant de droit, sauf exception légale (article 514 du Code de procédure civile).
II/ Les exceptions au Conseil de Prud’hommes
La matière prud’homale fait néanmoins partie des exceptions à la règle. L’article R.1454-28 du Code du travail prévoit que les décisions du conseil de prud’hommes ne sont pas exécutoires de plein droit, sauf décision expresse des Conseillers ou sauf exception textuelle.
Ainsi, devant le Conseil de Prud’hommes, seuls sont exécutoires à titre provisoire de plein droit (Article R.1454-28 du Code du travail) :
- Les jugements susceptibles d’appels par suite d’une demande reconventionnelle ;
- Les jugements qui ordonnent la remise de documents essentiels inhérents au déroulement et à la rupture des relations contractuelles : certificat de travail, bulletins de paie, ou toute autre pièce que l’employeur est tenu de délivrer ;
- Les jugements qui ordonnent le paiement de sommes au titre des rémunérations et indemnités suivantes, visées au 2° de l’article R1454-14 du même code : provisions sur salaires et accessoires du salaire, commissions, indemnités de congés payés, indemnité de préavis et indemnités de licenciement ; l’indemnité compensatrice et indemnité spéciale de licenciement en cas d’inaptitude d’origine professionnelle ; l’indemnité de précarité due aux termes des CDD et des contrats de mission intérim conclus avec les entreprises de travail temporaire.
Il faut ainsi considérer que toutes les sommes ayant une nature salariale sont exécutoires de plein droit, et même si elles sont qualifiés textuellement d’« indemnités » : tel est le cas par exemple de l’indemnité de non-concurrence, qui est qualifiée d’indemnité compensatrice de salaire (Cass. soc., 22 sept. 2011, no 09-72.876).
Une analyse a contrario de ces textes nous amène toutefois à considérer que toutes les sommes ayant un caractère indemnitaire et ne figurant pas expressément dans les exceptions ne sont pas exécutoires de plein droit, comme par exemple l’indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse (Cass. soc. 20 janvier 2016 n°14-23672), ou bien encore, l’indemnité pour travail dissimulé.
Précisons que les sommes visées au 2° de l’article R1454-14 du Code du travail sont exécutoires de plein droit que dans la limite d’un plafond de neuf mois de salaire. Le reliquat quant à lui ne l’est pas. Les neufs derniers mois de salaires sont calculés sur la moyenne des trois derniers mois de salaire.
À ces règles déjà complexes s’ajoutent d’autres exceptions textuelles. Ainsi, sont par ailleurs toujours exécutoires de plein droit :
- Les jugements statuant sur une demande de requalification d’un CDD en CDI (article R1454-16 du Code du travail) et d’un contrat de mission intérim en CDI (article D1251-3 du code du travail) ;
- Les ordonnances de référé rendues par le Conseil de Prud’hommes (article 489 du Code de procédure civile, article R.1455-10 du code du travail)
- Les ordonnances rendues par le bureau de conciliation dans le cadre de ses attributions juridictionnelles (article R1454-16 du Code du travail).