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Droit du travail

Abandon de poste : entre évasion volontaire et démission forcée

Par 28 janvier 2025Pas de commentaires
Portrait noir et blanc de Sophia BENSALOUDJI

Sophia BENSALOUDJI – Juriste en droit social

La démission, acte volontaire par lequel un salarié met un terme à sa relation de travail, a toujours suscité de nombreuses interrogations de la part des employeurs, particulièrement lorsqu’un salarié choisit de disparaître sans préavis, évitant ainsi de formaliser sa décision.


Entre les absences injustifiées et les situations d’absentéisme prolongé, il n’était pas toujours facile de déterminer si le salarié s’était définitivement « évaporé » ou s’il avait simplement omis de prévenir des motifs de son absence.

La loi n° 2022-1598 du 21 décembre 2022 portant mesures d’urgence relatives au fonctionnement du marché du travail en vue du plein emploi vient clarifier cette question : dans certains cas, l’absence prolongée sans justification suffisante est désormais considérée comme une démission présumée. Une mesure qui, tout en apportant une sécurité juridique aux employeurs, impose également aux salariés une vigilance accrue vis-à-vis de leurs obligations de communication.

1) La procédure de présomption de démission :

La présomption de démission a été instaurée par la loi n° 2022-1598 du 21 décembre 2022. Les modalités pratiques d’application de cette procédure ont été précisées par le décret n° 2023-275 du 17 avril 2023, compété par une « foire aux questions » (FAQ) du Ministère du travail publié le 18 avril 2023.

Conformément à la nouvelle législation, tout salarié qui demeure absent sans fournir d’explication ou justification valable malgré la mise en demeure de l’employeur est réputé démissionnaire à l’issue d’une procédure spécifique.  

L’employeur qui constate une absence prolongée de son salarié sans justification le met en demeure par lettre recommandée avec accusé de réception (ou lettre remise en mains propres contre décharge, selon le texte), de justifier son absence et de reprendre son poste dans un délai imparti (article R1237-13 du Code du travail).

Les normes précédemment mentionnées ne spécifient pas de durée minimale d’absence avant l’envoi de la lettre de mise en demeure. Toutefois, la logique inciterait à considérer qu’un délai minimal de 48 heures doit être respecté.

Le délai pour se justifier est quant à lui déterminé par l’employeur, mais ne peut être inférieur à quinze jours à compter de la date de première présentation de la mise en demeure (R1237-13 du Code du travail). En pratique, il est conseillé de choisir une date butoir à minimum J+21 de la date d’envoi.

Attention, cette lettre doit préciser les conséquences d’une absence de réponse du salarié dans les délais impartis, savoir la rupture de son contrat de travail par démission (précision apportée par l’arrêt du Conseil d’Etat du 18 décembre 2024, n°473640).

Il appartient alors au salarié de justifier son absence par un « motif légitime ». Quelques exemples sont fournis par le décret :

  • Raisons médicales ;
  • Exercice du droit de retrait ;
  • Exercice du droit de grève ; refus du salarié d’effectuer une instruction contraire à la règlementation ;
  • Refus d’exécution du contrat modifié unilatéralement par l’employeur (modification substantielle)

Il n’existe pas de condition de forme pour la réponse du salarié (sms, courriel, lettre simple ou recommandée…), mais il apparaît évident, pour des questions de preuve, de justifier l’absence par écrit. Si le salarié n’est pas habilité à prouver qu’il a bien justifié son absence, il risquera d’être débouté en cas de contentieux.

En ce qui concerne le motif en lui-même, la liste ci-dessus n’est pas exhaustive. Il appartient à l’employeur – avec l’aide de son Conseil – d’apprécier la légitimité du motif. Ainsi, il écartera les motifs jugés comme dilatoires ou extravagants, et reviendra sur sa décision en cas de justification correcte.

Il est dès lors envisageable que des litiges surviennent concernant la validité des motifs avancés par les salariés : un salarié prétendant être absent pour des raisons médicales mais ne fournissant pas d’arrêt maladie peut-il revendiquer une absence « légitime » ? Si un salarié justifie son absence par le fait qu’il assiste un proche en détresse, cette absence peut-elle être considérée comme suffisamment légitime pour abandonner la procédure ? ou placer le curseur entre moralité et légalité ? 

Il est donc important pour un employeur de s’entourer de son Conseil pour prendre une décision. En tout état de cause, notons pour curseur que la démission doit rester une volonté claire et non équivoque de quitter son travail…

A toutes fins utiles, précisons que la procédure ne s’applique évidemment pas en cas de maladie, de congé maternité ou de toute autre situation protégée par la législation du travail.

 A l’expiration du délai prévu, en l’absence de « motif légitime » transmis par le salarié (absence de réponse ou réponse fallacieuse), l’employeur est en droit de le considérer comme démissionnaire.

Aucune condition de forme n’est prévue pour constater la démission, mais il est conseillé de notifier le salarié par écrit (par lettre recommandée avec accusé de réception).

Le solde de tout compte et les documents de fin de contrat devront également être envoyés au salarié.

2) Les précisions du Conseil d’Etat :

Les modalités pratiques de la présomption de démission instaurées par le décret du 17 avril 2023, et mentionnées ci-dessus, ont été en quelque sorte validées par le Conseil d’Etat.

Dans un arrêt en date du 18 décembre 2024, la haute instance a rejeté la demande d’annulation de ce décret par des syndicats professionnels. Il précise notamment que les garanties prévues convention internationale du travail n° 158 sur le licenciement (rupture à l’initiative de l’employeur) ne s’appliquent pas à la présomption de démission, dès lors où il s’agit ici d’une procédure de rupture du contrat à l’initiative du salarié (qui a initié l’absence) et non de l’employeur qui a envoyé la mise en demeure.

En tout état de cause, le Conseil d’Etat laisse entendre que la possibilité laissée au salarié de préciser son motif d’absence dans un délai de minimum 15 jours lui apporte les garanties suffisantes, puisqu’elle lui offre la possibilité de faire obstacle à la procédure de présomption de démission initiée par l’employeur.

Une précision importante a été apportée par cet arrêt : pour qu’une démission puisse être présumée, le salarié doit être préalablement informé des conséquences liées à une absence prolongée sans justification légitime : en pratique donc, l’employeur doit veiller à informer clairement le salarié, dans sa première mise en demeure, des répercussions éventuelles de son absence avant de pouvoir considérer celle-ci comme une démission tacite.

L’annulation de la FAQ a également été demandée par les organisations syndicales. Le motif : ce document fournissait la possibilité à l’employeur de choisir entre la procédure d’abandon de poste (licenciement) et la présomption de démission. Le Conseil d’Etat a refusé de statuer sur la question, invoquant le fait que cette partie de la FAQ avait été retirée du site en juin 2023 et que la nouvelle version mise en ligne ne contenait plus les mentions contestées. Cette question reste donc en suspens…

3) Les conséquences : un cadre juridique renforcé pour les employeurs ; une mise en garde pour les salariés :

Si cette procédure soulève encore quelques questions et peut être sujet à contentieux, elle reste une avancée positive pour les employeurs.  Avant l’instauration de cette réforme, les entreprises se retrouvaient souvent dans une situation complexe, ne sachant pas s’il convenait de procéder à un licenciement pour faute ou de considérer l’absence prolongée comme une démission tacite. La présomption de démission permet désormais de lever cette incertitude, offrant ainsi aux employeurs une solution rapide et efficace.

Du côté des salariés, la présomption de démission ne doit pas être prise à la légère. En cas d’absences prolongées et non signalées, cela sera interprété comme une rupture volontaire de leur part, avec toutes les conséquences que cela implique, y compris la perte des droits à indemnités de chômage.

Dès lors, il apparaît essentiel que les salariés adoptent une démarche proactive et communicative lorsqu’ils se trouvent dans des situations où leur présence au travail devient impossible. Pour les salariés, cette réforme souligne l’importance d’une communication transparente et régulière avec leur employeur, afin d’éviter toute ambiguïté.

La règle est désormais limpide : mieux vaut prévenir que guérir… ou se voir imposer une démission sans l’avoir explicitement formulée.