Lors de la conclusion d’un bail commercial, il est fréquent que le bailleur requiert du locataire de lui fournir une caution en garantie de toutes les sommes dont il sera redevable au titre du bail. L’acte de cautionnement sera alors intégré au bail ou conclu par acte séparé. Cependant, il faut être vigilant quant à la rédaction de cet acte qui, s’il est mal rédigé, peut entrainer des conséquences terribles pour le bailleur créancier. En effet, un cautionnement solidaire peut dégénérer en cautionnement simple à défaut de revêtir les mentions obligatoires imposées par la Loi[1], voire être sanctionné de nullité; un bailleur peut se retrouver sans caution à actionner dans un bail qui aurait été renouvelé sans l’acte de cautionnement[2].
Ainsi, lors de la rédaction d’un engagement de caution d’un bail commercial, des points de vigilance sont à observer pour se prémunir des irrégularités qui pourraient le frapper.
- 1er point de vigilance : la qualité de la caution, celle du bailleur et la nature de l’acte dans lequel l’engagement de caution est donné
Si le cautionnement est donné par une personne physique (la caution) au bénéfice d’un créancier professionnel (le bailleur) dans un acte sous seing privé, il conviendra de respecter les dispositions de l’article L.331-1 du Code de la consommation, à peine de nullité, ces trois conditions étant cumulatives. La caution devra alors faire précéder sa signature de la mention manuscrite prévue à cet article. A défaut de cette mention ou si elle est irrégulièrement apposée, le cautionnement sera nul.
En outre, si le bailleur sollicite un cautionnement solidaire, la caution devra faire précéder sa signature de la mention manuscrite prévue à l’article L.331-2 du même code. A défaut, le cautionnement solidaire pourra dégénérer en cautionnement simple à défaut de revêtir ces mentions obligatoires.[3]
La notion du créancier professionnel est définie par la jurisprudence. Il s’entend comme « celui dont la créance est née dans l’exercice de sa profession ou se trouve en rapport direct avec l’une de ses activités professionnelles ».[4] La caution personne physique, quant à elle, peut être le dirigeant personne physique de la société locataire.
Compte tenu de la gravité de la sanction qui est susceptible de frapper l’acte de cautionnement, à savoir la nullité, il est recommandé de reproduire fidèlement la formule légale imposée par ces articles, la jurisprudence n’admettant que des modifications minimes des mentions obligatoires et ce, sous réserve que la caution ait eu une parfaite connaissance de l’étendue et de la durée de son engagement[5].
Dans tous les autres cas, à savoir si l’acte de cautionnement est donné par une caution personne physique ou morale et/ou au bénéfice d’un créancier non professionnel et/ou dans un acte notarié, un acte d’avocat ou sous seing privé, il sera soumis au formalisme de l’article 1376 du code civil. Dans ce cas de figure, le formalisme imposé par le code civil est beaucoup plus souple que celui prescrit par le code de la consommation. Aucune formule légale n’est à reproduire, le texte impose seulement la signature de la caution ainsi que la mention manuscrite de la somme en toutes lettres et en chiffres. Ce formalisme est destiné à établir la preuve de l’engagement et ne conditionne en rien sa validité, contrairement aux dispositions du code de la consommation. Dans ce contexte, le rédacteur de l’acte de cautionnement disposera d’une plus grande de liberté de rédaction.
- 2ème point de vigilance : le régime matrimonial de la caution
Lors de la rédaction de l’acte de cautionnement, il est conseillé également de vérifier l’état civil de la caution. En effet, si celle-ci est mariée sous le régime de la communauté, il conviendra de faire intervenir son conjoint à l’acte[6]. A défaut, la caution ne pourra pas être actionnée sur les biens de la communauté mais uniquement sur ses biens propres, à savoir les biens acquis avant la communauté ou reçus en héritage[7].
- 3ème point de vigilance : l’étendue des dettes garanties
Le cautionnement ne peut pas être étendu au-delà des limites dans lesquelles il a été contracté[8]. Ainsi, selon la formule retenue, l’engagement de la caution pourra porter sur le loyer, avec ou sans les charges et les accessoires, majorés ou non des intérêts de retard, incluant ou non les réparations locatives, l’indemnité d’occupation, etc.
Ainsi, le bailleur devra redoubler de vigilance en proposant la rédaction de cette clause. Ceci étant, il n’y aura aucune difficulté si les dettes garanties sont explicitement visées dans l’acte : le bailleur ne pourra réclamer à la caution que celles-ci à l’exclusion des autres dettes[9]. De surcroît, une rédaction de la clause libellée en termes généraux peut être intéressante si l’on souhaite que la caution soit tenue exactement comme le locataire[10].
Par ailleurs, l’acte de cautionnement régit par le code de la consommation, devra impérativement préciser le plafond maximal de l’engagement qui constitue un élément essentiel de l’acte, ce plafond figurant parmi les mentions obligatoires prévues par l’article L.331-1 du code de la consommation. A défaut, le cautionnement sera nul. L’engagement de la caution sera donc limité à ce plafond, d’où l’importance de bien évaluer en amont les obligations du locataire découlant du bail. Un tel plafond pourra également être prévu dans un acte de cautionnement régi par le code civil.
- 4ème point de vigilance : la durée du cautionnement dans un acte régi par le code de la consommation
Le cautionnement d’un bail commercial peut être donné pour une durée limitée (un nombre précis de mois, d’années, la durée du bail) ou illimitée (l’acte de cautionnement ne mentionne aucune durée, il couvrira alors la durée du bail[11]).
En revanche, si l’acte est régi par le code de la consommation, la durée du cautionnement devra impérativement figurer dans la mention manuscrite, et ce même si elle est déjà mentionnée ailleurs dans le bail. En effet, à l’instar du nom du débiteur et du plafond maximal de l’engagement, elle constitue un élément essentiel de l’acte de cautionnement[12]. A défaut, le cautionnement sera nul, les mentions légales étant destinées à informer la caution de la nature, de l’étendue et de la durée de son engagement[13].
Ainsi, la question se pose quant à la manière dont la durée de l’engagement doit être mentionnée. Doit-elle être obligatoirement chiffrée et stipulée en unité de temps ou une référence à un évènement certain (par exemple, le terme du bail) suffit-elle ? La Cour de Cassation tranche ce point dans un arrêt du 9 juillet 2015[14]. Dans cet arrêt, bien que la Cour de Cassation précise que « les dispositions légales ne fixent pas la manière dont la durée de l’engagement doit être mentionné dans l’acte de cautionnement ; [et] qu’il suffit que la caution ait au travers des mentions portées une parfaite connaissance de l’étendue et de la durée de son engagement », elle vient sanctionner la durée par référence[15] (en l’espèce, l’acte de cautionnement faisait référence à « l’opération garantie + 2 ans ») au motif que « l’imprécision de cette mention affectait la compréhension de la durée des engagements de caution et par suite leur validité quand bien même la durée de l’opération garantie, en l’occurrence 84 mois, était indiquée en première page des actes de cautionnement »[16]. Il paraît donc opportun de chiffrer et de stipuler en unité de temps la durée de l’engagement si l’acte de cautionnement est régi par le code de la consommation.
- 5ème point de vigilance : Quel est le sort du cautionnement en cas de prolongation tacite ou de renouvellement du bail commercial ?
A l’arrivée du terme du cautionnement, qui est fréquemment calqué sur la durée du bail commercial, la caution sera libre de son engagement pour les dettes nées après. En revanche, le bailleur créancier pourra toujours poursuivre la caution pour des dettes nées avant l’arrivée du terme.
Quel est le sort du cautionnement en cas de prolongation tacite ou de renouvellement du bail commercial ?
- Prolongation tacite du bail commercial
Il s’agit de l’hypothèse dans laquelle le bail arrive à son terme sans que le bailleur ait délivré un congé au moins six mois à l’avance ou que le locataire ait formulé une demande de renouvellement. En conséquence, le bail se prolonge tacitement au-delà de son terme fixé contractuellement, et ce, sans qu’un nouveau bail soit formé.
La question est de savoir si la caution demeure tenue ou non des dettes pendant cette période. La jurisprudence et la doctrine sont divisées sur ce point[17]. Afin d’éviter toute discussion à ce sujet, il paraît judicieux de prévoir expressément l’hypothèse de la prolongation du bail dans l’acte de cautionnement.
- Renouvellement du bail commercial
En cas de renouvellement du bail commercial, un nouveau bail est formé, la caution engagée pour la durée du bail sera donc libérée. Ainsi, afin d’éviter que le bailleur se retrouve sans caution à actionner, il faudra prendre garde à bien renouveler le bail commercial avec l’acte de cautionnement. L’acte de cautionnement régi par le code civil pourra toutefois prévoir expressément qu’il sera donné pour la durée du bail et de ses renouvellements successifs[18].
- 6ème point de vigilance : Quel est le sort du cautionnement en cas de cession du droit au bail?
En cas de cession du droit au bail, la caution restera tenue des engagements du cédant (l’ancien locataire), dès lors que le bail prévoit que le locataire restera débiteur solidaire avec son successeur (le cessionnaire, nouveau locataire) du paiement des dettes découlant du bail pendant toute la durée de celui-ci. A défaut, la caution se verra libérée de ses engagements. Cette solution paraît transposable en cas de cession de fonds de commerce. En conséquence, il est recommandé au bailleur de conditionner son accord à la cession du droit au bail, à la délivrance d’une nouvelle garantie par le cessionnaire.[19]
Les points évoqués ci-dessus font la lumière sur certains des pièges à éviter lors de la rédaction d’un engagement de caution d’un bail commercial. Néanmoins, il convient de souligner qu’il existe d’autres points de vigilance à observer, comme les modalités d’information de la caution par le bailleur ou encore le sort de la caution en cas de fusion-absorption du preneur, qui n’ont pas été abordés dans le présent article.
Notre cabinet est à votre écoute et vous conseille pour toute question en matière de baux commerciaux.
Flora DE BENEDITTIS
Avocate
[1] Cass. Com., 14 nov. 2019, n°18-15.468.
[2] Cass. civ. 3ème, 4 nov. 1980, n° 79-13.227.
[3] Cass. Com., 14 nov. 2019, n°18-15.468.
[4] Cass. Com., 10 janv. 2012, n°10-26.630 ; Cass. Civ. 1ère, 9 juill. 2009, n° 08-15.910.
[5] Cass. Civ. 1ère, 16 mai 2012, n°11-17-411 ; Revue Lamy Droit civil n 182, 1er juin 2020, Chronique de Frédérique JULIENNE.
[6] Art. 1415 du Code civil.
[7] Art. 1401 et s. du Code civil.
[8] Art. 2292 du Code civil.
[9] Cass. civ. 3 juill.1872 ; Mémento « Baux Commerciaux » Edition Francis Lefebvre 2021, n°36900.
[10] Mémento « Baux Commerciaux » Edition Francis Lefebvre 2021, n°36900.
[11] Cass. com. 7 juill.1992 n° 1263, Mémento « Baux Commerciaux » Edition Francis Lefebvre 2021, n°37080.
[12] Revue Lamy Droit civil n 131, 29 oct. 2015, Chronique de Cécile LE GALLOU.
[13] Cass. Civ. 1ère, 9 juill. 2015, n°14-21.763. ; Cass. Civ. 1ère, 16 mai 2012, n°11-17-411.
[14] Cass. Civ. 1ère, 9 juill. 2015, n°14-24.287.
[15] Revue Lamy Droit civil n 131, 29 oct. 2015, Chronique de Cécile LE GALLOU.
[16] Cass. Civ. 1ère, 9 juill. 2015, n°14-24.287.
[17] Cass. com. 16 janv. 2007 n° 05-10.028 ; CA Paris, 21 mars 2003 ; Mémento « Baux Commerciaux » Edition Francis Lefebvre 2021, n°37080 ; Guide des baux commerciaux Edition Lexis Nexis 2019/2020, p.164
[18] Guide des baux commerciaux Edition Lexis Nexis 2019/2020, p.164.
[19] Mémento « Baux Commerciaux » Edition Francis Lefebvre 2021, n°10180 ; Guide des baux commerciaux Edition Lexis Nexis 2019/2020, p.165.